Pas plus que son silence sa parole n'est pas d'or

L'une des raisons d'être de ce journal (il faudra qu'on s'en explique un jour) étant de déciller les yeux, on va revenir régulièrement sur des épisodes oubliés qui auraient dû marquer la vie politique aixoise...

Cette histoire abracadabrantesque s'est déroulée entre décembre 2001 et décembre 2002 (mais on n'en connaît pas encore vraiment l'épilogue). Voici comment l'hebdomadaire La Vie Nouvelle (daté du 19 décembre 2002) l'avait présentée à ses lecteurs d'une manière bien plus objective que ce que l'on peut lire aujourd'hui dans la presse papier locale.


En 2002, le torchon brûlait vraiment entre le fringant député-maire RPR et son impétueux opposant étiquetté socialiste. Ce dernier reprochait à Dominique Dord de s'être prêté à  "une affaire floue, pour ne pas dire suspecte" en décidant de vendre un terrain municipal de 3 hectares (du Bois Vidal) pour une bouchée de pain (15 euros le mètre carré). La formule (affaire floue, suspecte) avait figuré dans le bulletin n°3 que publiait alors la minorité de gauche au sein du conseil municipal. Indigné par cet outrage à sa probité et à son sens de la défense des intérêts de la collectivité publique (si, si), Dord avait déposé une plainte en diffamation.

Maucci n'était pas dupe en déclarant au journaliste "Dord supporte assez peu la contradiction (avec cette plainte) c'est la dernière étape pour nous faire taire". Pour faire taire l'opposition en la frappant à son point sensible, l'argent, Dord avait fait réclamer par son avocat personnel (qui deviendra ensuite celui de la Ville) une sanction financière de 4 000 euros à l'encontre de ses opposants. Le brave homme.

Naturellement (sic), et bien que les faits paraissaient d'une extraordinaire légèreté (si un opposant ne peut pas dire qu'il trouve une affaire floue et suspecte quand elle est floue et suspecte, où va-t-on?) sans surprise, donc, le tribunal correctionnel donna raison à Dord et condamna Maucci à lui payer un lourd tribut financier. Maucci avait bien senti le coup venir: cette condamnation allait quasiment sonner le glas de l'expression publique de l'opposition. Plus jamais le moindre bulletin d'information, mettant en cause les comportements pourtant de plus en plus contestables du député-maire, ne fut publié par l'opposition  Aujourd'hui encore, 14 ans plus tard, il n'existe toujours pas de publication de l'opposition locale à Aix les Bains. La seule opposition qui s'exprime se fait en dehors des courants politiques. Et cela n'étonne même plus personne. Reste le plus beau de l'histoire.

En Janvier 2002, dans son bulletin politique, F. Maucci ne croyait pas aux promesses de Dord, il doutait fortement qu'un centre de balnéo thérapie et qu'un laboratoire de recherches sur les cosmétiques allaient être implantés au Bois Vidal. C'est pourquoi Il avait parlé d'une affaire floue, voire suspecte. Et c'est pour cela, et pour cela seulement, qu'il avait été condamné. Et pourtant. Pourtant quinze ans, oui quinze ans après la promesse de Dord, il n'y a toujours pas le moindre projet en vue pour la création d'un centre de balnéo ou de cosmétiques au Bois Vidal. Rien. Macache. Nada. Nib de nib. L'affaire était donc bien floue et suspecte. Mais les juges qui ont condamné Maucci ont sans doute été promus ailleurs et n'en ont plus cure, comme dirait le pédégé de Valvital.
Mais il y a peut-être plus extravagant encore. Voici en effet ce que déclarait Dominique Dord en décembre 2002:

En décembre 2002, Dominique Dord rappelait que l'acte de vente des 3 hectares du Bois Vidal n'était pas signé. Et il ajoutait que si le projet ne se faisait pas "il n'y a aucun risque pour la ville et chacun reprendra ses billes". On a bien lu et on a bien compris. Dord promettait en 2002 que si le projet de balnéo ou autres cosmétiques ne se faisait pas, la ville reprendrait ses billes, c'est à dire qu'elle ne vendrait pas le terrain au prétendu promoteur de l'opération. Et que s'est-il passé depuis? Eh bien le projet ne s'est pas fait mais...
Mais au mois de juin 2006, Dord est allé chez un notaire signer l'acte de vente des 3 hectares à la personne à qui il avait promis ce terrain au prix auquel il l'avait promis. Il a donc renié son engagement. Qui s'en souvient? Qui s'en soucie?

Bref, on ne sait toujours pas si le silence est d'or mais peut-on dire, sans crainte d'être traîné en diffamation, que la parole du député-maire aixois est d'argent?

Epilogue: à défaut d'une opposition agissante, Gratien Ferrari avait chargé en 2010 un avocat de contester cet acte de vente. L'ancien maire avait pour cela de bons arguments à la clé. Par exemple, la fameuse et indispensable estimation des Domaines, datée de novembre 2001, n'était valable qu'un an. En 2006, Dord ne pouvait donc pas vendre le terrain au prix d'une estimation échue depuis 4 ans. Autre argument, dans l'acte de vente, Dord avait fait ajouter des "droits de passage réels et perpétuels" au seul profit de l'acquéreur, grevant ainsi plusieurs hectares de terrain communal, dont du domaine public, cela sans que le Conseil, seul habilité à le faire, ne se fût prononcé. Il y avait donc de fortes chances de casser cette vente et de voir la ville redevenir propriétaire de ces trois hectares indument vendus. Mais la justice est lente. Très lente. De renvoi en renvoi, d'atermoiement en astuce de procédure, l'affaire a traîné. Elle n'aurait pu être jugée que cette année. Trop tard pour Gratien Ferrari qui a quitté la scène en octobre dernier. Que peut-on espérer maintenant? Que les filles de l'ancien maire laissent se poursuivre l'action en justice de leur père. Personnellement, pour en avoir discuté souvent avec lui, je crois que c'est un combat que Gratien Ferrari aurait souhaité mener même au-delà de la mort. Un combat pour l'honneur. Un combat pour "sa" ville. Un combat pour la vérité.

Jacques Girard