Il y avait au moins deux traits de caractère dont Ubu-Dord était fort pourvu, à savoir d'être peu enclin à respecter les lois et usages quand cela l'arrangeait ainsi qu'une tendance à penser qu'il lui suffisait de vouloir pour que tout se passât comme il l'avait décidé. Et parfois, sinon souvent, cela n'allait pas sans conséquences...
Ainsi que nous l'avons déjà relaté, Ubu-Dord avait, de sa seule autorité et sans en référer à quiconque, décidé que la Communauté d'Agglomération du Lac du Bourget (la CALB) s'appellerait désormais Grand Lac. C'était totalement incongru et ce caprice allait entraîner de curieuses conséquences.
Passe encore que l'Incontournable avait ordonné de remplacer le sigle CALB par celui de Grand Lac en lettres énormes sur tous les véhicules communautaires. Passe encore que les bus de l'agglomération arboraient, eux aussi, la nouvelle appellation. Plus surprenant encore, mais toujours sans grands inconvénients, les lettres à en-tête portaient aussi désormais le nom de Grand Lac... Seulement c'est quand Ubu-Dord ordonna à ses vassaux, les maires des petites communes, de remplacer l'identité de l'agglomération par le fantaisiste Grand Lac, cela dans des délibérations officielles et qui plus est, sans même faire référence à la communauté d'agglomération, que les choses commencèrent à se compliquer. Le premier embarrassé fut le préfet obligé de choisir entre, soit déplaire à l'ubuesque président de l'inexistant Grand Lac en respectant la légalité, soit fermer les yeux sur cette extravagance au risque d'être déjugé par le tribunal saisi par un quidam. Sacré dilemme pour qui n'affichait point de vertus... cardinales!
Mais on n'avait pas encore tout vu...
Recevant sa facture d'eau, un citoyen aixois eut la surprise de constater que les taxes (élevées et nombreuses) qui, hier encore, étaient prélevées au profit de la CALB, l'étaient désormais au profit de Grand Lac:
Imaginons la perplexité de notre citoyen qui savait que Grand Lac n'était qu'une chimère, au point que même le très ubuesque quotidien local avait dû en convenir en précisant, dans un récent article, que cette structure existerait, au mieux, à partir de l'an prochain, toutefois si rien n'y faisait obstacle d'ici là.
Dans ces conditions, s'interrogeait le citoyen, comment le distributeur d'eau pouvait-il prélever des taxes pour un Grand Lac qui n'existait pas? Et puisque Grand Lac n'existait pas, que deviendraient les taxes ainsi perçues par le distributeur d'eau? Faute de pouvoir les reverser à un organisme fantôme, les garderait-il pour lui?
Alors notre citoyen eut une idée: pourquoi ne pas déduire du total de sa facture les taxes réclamées par le distributeur au profit d'une structure fantôme, soit une bonne centaine d'euros. Après tout, que risquerait-il? Pas grand chose en vérité car aucun tribunal ne pourrait reprocher à un consommateur d'avoir refusé de payer une taxe au profit d'un organisme qui n'avait aucune existence légale.
Poursuivant sa réflexion, le citoyen se demanda ce qu'il adviendrait si, par un juste réflexe, d'autres abonnés à l'eau potable tenaient le même raisonnement que lui? Voire, si une association de consommateurs (ou politique, au sens noble du terme) prenait les choses en main, obligeant ainsi la SAUR et la CALB à respecter les lois et les usages?
Interrogé sur cette éventualité, Ubu-Dord l'avait balayée d'une pichenette "Après tout ce que je leur ai fait avaler depuis 15 ans sans qu'ils réagissent, je prends les paris que pas un de mes cons-citoyens refusera de payer. A-t-on déjà vu des moutons refuser de se laisser tondre la laine sur le dos?"
Merdre alors, se serait écriée la mère Ubu.