Baron noir ou baron gris?

Les relations ambiguës entre (une partie de) la Gauche et la Droite aixoise


Par Jacques Girard


C'était vers la fin de l'année 2013. Un potentiel candidat aux municipales de 2014 m'avait demandé, compte tenu de ma proximité avec Gratien Ferrari, si ce dernier accepterait de lui apporter son soutien. J'avais soumis cette démarche à l'ancien député-maire d'Aix-les-Bains qui y avait répondu par la négative. G. Ferrari m'expliqua qu'un autre candidat lui avait demandé son parrainage et il me promit de me le présenter prochainement. C'est ainsi que, quelques jours plus tard, dans le salon feutré du 38 avenue de la Liberté, je fis la connaissance d'André Gimenez.

Ancien directeur municipal des sports sous Gratien Ferrari, mais ayant eu maille à partir par la suite avec André Grosjean, Gimenez, proche du parti socialiste, était allé achever sa carrière professionnelle dans une de ces structures parisiennes dont on dit que le PS y place quelques uns de ceux sur qui il pense pouvoir compter un jour.
Devenu retraité en 2013, Gimenez s'apprêtait à partir à la conquête de cette mairie qui, quinze ans plus tôt, l'avait poussé vers la sortie. A la conquête? Enfin, pas tout à fait. "Plutôt pour préparer le terrain pour une équipe de gauche aux municipales de...2020, celles de 2014 n'étant qu'un marchepied" laissa-t-il entendre ce matin là.


Pour cet entretien en ma présence, Gratien Ferrari avait préparé, à l'intention de son nouveau "poulain", un certain nombre de dossiers très épineux, voire compromettants pour le pouvoir municipal sortant. L'ancien maire avait tenu à ce que je vienne en expliquer les tenants et les aboutissants. Tout en s'emparant des documents, Gimenez eut alors une réaction, déjà à mes yeux sibylline, qui laissait entrevoir ce qui vient de se passer à Grand Lac. A savoir qu'il nous informa n'avoir pas l'intention de se servir de ces dossiers pour faire du scandale, préférant travailler discrètement, pour le long terme.

Il tint parole. A. Gimenez mena une campagne 2014 très "propre", sans attaque, sans accusation, sans scandale. Mieux, presque sans critique. Il y avait pourtant, dans les dossiers qui lui avait été remis, de quoi savonner sérieusement la planche du maire sortant et de son équipe.

Par la suite, je ne revis Gimenez qu'une seule fois en privé et il me parut encore plus fuyant. Fuyant dans le sens où je comprenais que sa stratégie consistait d'avantage à circonvenir Dominique Dord qu'à l'attaquer de front. Son comportement quasi courtisan lors de séances de conseil municipal ou, plus encore, lors de manifestations publiques, me confortèrent dans cette certitude. Je me souviens par exemple de cette matinée de mars dernier...

Ce jour-là, alors qu'il devait inaugurer une Antenne de Ville dans le quartier du Sierroz, D. Dord dut faire face à des manifestations d'hostilité. La nuit précédente, les murs des bâtiments publics avait été tagués de slogans hostiles au député-maire. Des ouvriers de la ville avaient bien été envoyés pour effacer les traces de ce crime de lèse-député-maire et des forces de police, discrètes, surveillaient bien les environs, prêtes à intervenir, pour autant l'ambiance n'était pas à la sérénité au moment de l'arrivée de Dord



Parmi les protestataires présents, il se trouvait notamment quelques jeunes gens qui n'avaient pas la langue dans leur poche et qui, à l'aide d'un argumentaire drôlement bien charpenté, interpellèrent vertement un député-maire visiblement pas à la fête et mal embouché. On vit alors Gimenez servir quasiment de garde rapprochée au député-maire, y compris en s'interposant entre lui et certains contestataires. La scène a même été filmée:

Ce matin-là, dans la rue des Moellerons, lors d'un échange très vif entre Dord (de dos, les cheveux au vent) et un jeune protestataire (à droite), l'intervention de Gimenez (au centre, de face) n'eut pour but que de ramener le calme et mettre fin à une ambiance très tendue. Mission réussie! L'inauguration se déroula ensuite sans autre incident.
Un socialiste, en bon Samaritain, venant au secours d'un leader d'une droite honnie, cela méritait bien la photo souvenir ci-dessus. Et une tentative d'explication.


Et là, on va se permettre quelque extrapolation.
C'est bien connu, la Gauche a toujours eu une certaine propension, quand la Droite est au pouvoir, à profiter des périodes de tension sociale pour encourager les mouvements de protestation "spontanés", au besoin à les susciter. Voire à tirer profit des incidents qui pourraient survenir à l'occasion de ces manifestations. On se souvient comment, en 1986, lors d'une manifestation étudiante orchestrée par la Gauche, le décès dramatique de Malik Oussekine avait mis à mal la politique sécuritaire du tandem Pasqua-Pandraud et comment la Gauche avait exploité ce drame. Tout ceci pour rappeler que, d'ordinaire, les élus de gauche ont davantage tendance à souffler sur les braises de la contestation populaire plutôt qu'à jouer les pompiers volontaires.

A cette lueur, la présence ostensiblement apaisante du socialiste André Gimenez entre Le Républicain Dominique Dord et les quelques protestataires ( à peine une demi douzaine dont un seul porte-parole) ne donne-t-elle pas lieu à interprétation? Faut-il y voir un début d'explication à ce qui s'est passé jeudi soir à Grand Lac ?

J.G.

(à suivre)


PS: A ceux qui en ont la possibilité, je conseille de visionner les huit épisodes (accessibles en VOD ou en steaming) de la série Baron Noir, avec Kad Merad et Niels Arestrup. Un "House of cards" à la française mais en mieux.  Une série qui en dit beaucoup plus sur les moeurs et les comportements en politique que toutes les exégèses sur les "primaires".