A la manière du Canard: Ce million d'euros évaporés qui empoisonnent la municipalité aixoise *

Version longue

A la manière de...

...Histoire d'attirer également l'attention sur ce qui se passe à Aix-les Bains !


Pendant sa campagne électorale de 2001, il avait promis de remonter la fréquentation des Thermes mais très vite Dominique Dord a tourné le dos à cette promesse. Plutôt que de relancer l'activité thermale dans les Anciens Thermes, il a préféré destiner ce bâtiment à des activités plus commerciales et plus privées. C'est justement cette propension à confondre les biens publics avec les affaires privées qui risque de se retourner contre lui aujourd'hui. Et les sommes en jeu commencent à donner le tournis...

En octobre 2005, Dord a fait adopter par le conseil municipal le principe de l'installation de l'école d'esthétique Peyrefitte dans les locaux des Anciens Thermes. Or, à cette date, les bâtiments étaient toujours la propriété de l'Etat et la Ville n'y bénéficiait que d'un simple droit d'occupation, lequel excluait formellement tout usage commercial. Ce qui n'empêchera pas Dord de signer avec la Sté Peyrefitte une bien curieuse convention d'occupation du domaine public dans le but d'y exercer une activité commerciale. Ce fut la première entorse à la règle, une entorse qui allait en entraîner bien d'autres pour conduire à la situation inextricable actuelle.

Cette convention de 2005 faisait la part belle à la Sté Peyrefitte tout en étant fort contraignante pour la Ville. Qu'on en juge. Pour une surface initiale de 500 mètres carrés de locaux à usage commercial, Peyrefitte ne se voyait réclamer qu'une redevance annuelle de 5.000 euros. Soit 10 euros par m2. A la même époque, des locaux commerciaux, nettement moins bien situés, se louaient communément dix à quinze fois plus cher à Aix et environs.
En Avril 2007, Dord proposait à son conseil que la surface accordée à l'école d'esthétique passe de 500 à 1000 mètres carrés, le loyer annuel au mètre carré restant inchangé à 10 euros. Dans la foulée, le même conseil municipal, toujours à la demande de Dord, accordait sa garantie à un emprunt de 500.000 euros que Peyrefitte se proposait de contracter. Rien n'était trop beau pour les amis lyonnais du député-maire. Mais ce n'était pas tout...

En relisant la convention signée par Dord en 2005, on découvrait un curieux article 8 précisant que le maire s'était engagé à transformer la convention d'occupation du domaine public en un bail commercial et dans les mêmes conditions financières que la convention. Et ceci dès que la Ville deviendrait propriétaire des bâtiments.


Transformer une incertaine convention temporaire en un bail commercial à durée indéterminée et aux mêmes conditions financières, voilà l'engagement ferme et irrévocable que Dord avait accepté de signer!
Dès lors, si on est en droit de se demander si le type qui a signé cela avait bien tous ses esprits, en tout cas, aujourd'hui, lui-même doit s'en mordre les doigts.

Car une fois la convention signée, surtout avec cet engagement, c'était désormais la famille Peyrefitte qui détenait le pouvoir. Et dès l'année 2008, Dord pouvait commencer à sentir le piège se refermer sur lui.
La convention signée en 2005 s'achevant au 21 décembre 2008, que pouvait-il faire? Revenir devant le conseil municipal, c'est à dire devoir s'expliquer en public? Dord ne le souhaitait pas. Il tergiversa et prit avis de ses avocats qui, finalement, lui conseillèrent de jouer le coup discrètement. Ce n'est que le 21 septembre 2009, soit près de neuf mois après que la convention initiale fût échue, que Dord, dans le secret de son cabinet, signa la prorogation, pour 5 ans, de cette convention. En espérant que cela passerait inaperçu.. Raté!

Tant qu'à être dans l'illégalité, autant l'être jusqu'au bout. Ça allait donc continuer de plus belle.


En 2011, estimant avoir assez patienté, l'Etat mettait la Ville en demeure d'acquérir, comme Dord s'y était engagé, les bâtiments des Anciens Thermes. La Ville se rendait officiellement propriétaire des lieux en juin 2012.
De fait, dès le lendemain, la convention d'occupation de 2005 (prorogée en 2009) devenait caduque et devait être remplacée par un bail commercial au profit de la société Peyrefitte. Et aux mêmes conditions financières, ainsi que Dord s'y était engagé en 2005.
Et c'est là que l'affaire s'est réellement compliquée. Car avant de signer ce bail, Dord était obligé de le faire adopter par le conseil municipal lors d'une réunion publique, formalité incontournable.
Problème: comment Dord pouvait-il expliquer, à la population aixoise en général et aux commerçants locaux en particulier, qu'il allait signer avec la Sté Peyrefitte un bail commercial à un loyer annuel à moins de 10 euros le mètre carré? Ceci alors que les agences immobilières aixoises proposaient des locaux bien moins attrayants à des loyers 15 ou 20 fois supérieurs (confer l'humeur de ce dimanche 29 janvier). Le piège venait de se refermer. Dord, tel un Ulysse loin de sa Pénélope (clin d'oeil) allait naviguer de Charybde en Scylla.


A défaut de la signature d'un bail commercial, on allait assister à un chaos d'informations, toutes plus fantaisistes les unes que les autres, autour du devenir des Anciens Thermes. Dord amusait et abusait la galerie, une fois avec son ancien directeur de tourisme promu Monsieur Anciens Thermes, une autre avec Vinci et ses parkings, pour en finir avec Bouygues et ses tours. Il s'agissait manifestement de gagner du temps, de repousser l'échéance.
Profitant de ce délai, Dord réussissait à convaincre les Peyrefitte de renoncer à ce bail commercial que lui-même n'était pas en mesure de leur signer. En échange, il leur promettait de leur revendre les locaux à un prix qui ne descendrait pas au-dessous de 750.000 euros. Une proposition, négociée devant notaire, que la Sté Peyrefitte avait acceptée. Mais ça, c'était avant que la SA Bouygues n'entre dans le jeu...

Depuis, la famille Peyrefitte attend patiemment, tranquillement, son heure. Bien que sans droit ni titre depuis le printemps 2012, elle continue d'occuper les locaux commerciaux moyennant un loyer ridicule. Elle aurait tort de se gêner. Elle peut se prévaloir à tout moment de l'engagement que Dord lui a signé en 2005 et notamment de l'article 8 par lequel le maire s'engageait à transformer une simple convention en un bail commercial à un tarif défiant toute concurrence. Un engagement ferme et irrévocable était-il précisé.

Alors, en attendant le quasi impossible dénouement amiable de cette affaire, il reste les questions:

- En 2005, Dord était-il autorisé à louer une partie des anciens Thermes à Peyrefitte avec transformation obligatoire de la convention en un bail commercial et aux mêmes conditions financières? Il semblerait que non.
- En Septembre 2009, Dord était-il autorisé à renouveler, sans l'avis préalable de son conseil, la convention signée en 2005 et échue le 31 décembre 2008?
Il semblerait que non.
- La convention liant Peyrefitte à la Ville étant présumée échoir dès que la Ville deviendrait propriétaire des Anciens Thermes, c'est à dire en juin 2012, est-il légal que la société occupe toujours les lieux, sans bail ni titre, depuis bientôt 5 ans?
Il semblerait que non.
En l'absence de bail ou de convention, les loyers perçus depuis le sont-ils légalement? 
Il semblerait que non.

Et, enfin, la question qui tue: sachant qu'en 2005 nul ne pouvait ignorer que la convention était illégale et (ou) à tout le moins discrétionnaire dans la mesure où elle faisait la part trop belle à une société privée au détriment de l'intérêt public et de la libre concurrence, est-ce que la responsabilité financière incombe à la Ville ou à celui qui a imprudemment et impudemment signé de tels engagements? La réponse paraît évidente.

On serait à Paris, on serait le Canard Enchaîné, voilà des questions (et des réponses) qui intéresseraient sûrement un parquet financier immédiatement saisi par son procureur.
Heureusement (?), on est en Savoie...


Une dernière question pour la route:
Sachant que, pour un local équivalent, le loyer moyen aixois est dix à quinze fois supérieur à celui pratiqué avec Peyrefitte, le manque à gagner pour la Ville se chiffrerait autour d'un million d'euros. Si cela est établi, serait-ce aux contribuables à supporter ce déficit ?


(voir aussi la version allégée ICI)

* (Le titre de cet article est un clin d'oeil à celui du Canard qui déchaîne les passions)


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