La véritable histoire de la tragédie des Anciens thermes

TELLE QUE L'ON NE L'A ENCORE JAMAIS ENCORE RACONTÉE


Avant-propos: C'était il y a quelques années déjà. Un maire de l'agglomération chambérienne (et qui depuis a fait son chemin dans la macronerie quitte à laisser des gens sur le... carreau) me définissait ainsi l'un de ses collègues d'une ville voisine: "Il est con et prétentieux". Au moment de rédiger cette réflexion sur l'affaire des Anciens thermes, ces deux qualificatifs me sont revenus en mémoire. Allez savoir pourquoi...

La mésaventure des Anciens thermes, c'est l'histoire d'un gars qui, un jour, plus par habileté que par autre chose, s'est retrouvé à la fois député, maire d'Aix-les-Bains, conseiller du 1er ministre Raffarin, et vice-président de l'EPIC des TNAB (Thermes nationaux). Et qui, de ce seul fait, s'est mis à vivre dans l'illusion de sa toute-puissance. Lui qui avait tout juste géré une petite sarl à son nom (société dont il avait déposé le bilan) s'est soudain pris pour un redoutable entrepreneur.

Dès 2003, après plusieurs visites des lieux, Dominique Dord est subjugué par les perspectives immobilières qu'offrent les bâtiments des Anciens thermes. Il s'arrange dès lors pour qu'ils soient bientôt désaffectés (plus de thermalisme) et que la Ville puisse les acquérir. La chose lui sera promise par un gouvernement RPR auquel il a longtemps aspiré être associé comme ministre. En 2005, l'Etat lui signe une promesse de vente. Dord fourmille alors d'idées pour réhabiliter et réaffecter les bâtiments. Mais le temps presse car à l'exception d'une rue de Genève dont les travaux laissent les Aixois sceptiques, il n'a rien de particulier à inscrire à son actif. Pour enjoliver son bilan, il passe un accord avec des "amis" lyonnais pour ouvrir une école d'esthétique au premier étage de ces Anciens thermes en annonçant que c'est un premier pas vers une formation universitaire. Un peu prétentieux.

Le docteur Peyrefitte et Madame ne sont pas des mécènes. Ils veulent bien investir à Aix mais pas à n'importe quel prix et pas sans garantie. Le prix, pas de problème, ce sera 10 000 euros de loyer annuel pour 1 000 mètres carrés de locaux (pour commencer). Soit dix à vingt fois moins cher qu'un loyer commercial classique à Aix. Quant à la garantie, ce sera la promesse que cette mise à disposition se transformera en un bail commercial aux mêmes conditions financières dès que la Ville sera propriétaire des lieux. C'est inconséquent et parfaitement illégal mais Dord signe cet accord. C'est un peu con.


Le temps passe. Les Peyrefitte sont d'excellents entrepreneurs. Leur école aixoise connaît un vrai succès. Ils y ont aussi mis le prix, plus d'un demi million d'euros d'investissement immobilier, et les moyens commerciaux.
Quand en 2012 la Ville devient enfin propriétaire des lieux, ils font le siège de l'hôtel de ville et réclament le bail commercial promis. Problème: quelqu'un a glissé dans le creux de l'oreille de Dord que ce ne serait pas possible. Un bail commercial à 830 euros de loyer mensuel pour 1 800 m2 de locaux dans ce bâtiment de style ne passera jamais le contrôle de légalité. Avoir pu croire le contraire serait assurément prétentieux.

Un conseiller juridique stipendié (à grand frais) par Dord a une idée. Il faut faire admettre aux Peyrefitte qu'une vente des locaux à leur profit serait bien mieux pour eux qu'un bail et les libèrerait de la tutelle de la Ville. Les Peyrefitte adhèrent d'autant mieux à cette proposition que Dord ne lésine pas sur les moyens pour les convaincre. Repas d'affaires, invitations à des soirées privées et même désignation d'un notaire chargé de préparer le contrat. Un prix est arrêté pour la vente des locaux occupés et de la piscine, soit 750.000 euros. Il ne reste plus qu'à peaufiner quelques détails comme le règlement de copropriété ou l'usage des parties communes. Si bien qu'à la fin de 2013 les Peyrefitte croient dur comme fer que Dord, qu'ils n'ont cessé de caresser dans le bon sens du poil, va leur signer ce fameux contrat de vente. Mais les élections de mars 2014 se profilent. Et Dord préfère reporter sine die la dite signature. Penser qu'un simple report va régler le problème, c'est un peu con.

En 2015, alors que cela fait déjà dix huit mois qu'ils sont occupants sans titre de leurs locaux, les Peyrefitte ne font plus bonne figure. Ils réclament la régularisation de leur situation. Ils exigent soit la vente, soit le bail commercial*. Le contrat de confiance est désormais définitivement rompu entre les deux parties. Coincé, Dord ne peut que leur signer une nouvelle convention précaire dans laquelle il est contraint de confirmer sa transformation en bail commercial dès que la Ville "sera propriétaire des lieux". C'est comique car à la date de cette signature, la Ville est déjà propriétaire des Anciens thermes et depuis trois ans. De fait, cette énième convention, avec une telle clause, n'a aucune chance de franchir le contrôle de légalité. Dord décide de passer outre. La convention n'est ni publiée au registre des décisions municipales ni transmise au préfet pour visa. Imaginer que personne ne s'en apercevra jamais, c'est à la fois con et prétentieux.

A partir de cette date Dord va changer de tactique. Reniant tout ce qu'il avait promis, il explique que la réfection des Anciens thermes doit passer par un pro du BTP. Il fait venir Vinci dont les envoyés découvrent avec stupeur le micmac autour de l'école d'esthétique. Vinci jette très vite l'éponge. Dord se retourne alors vers Bouygues qui prend la mesure du problème et sent la bonne affaire. Patiemment, les Bouygues-boys vont obtenir tout ce qu'ils veulent. Dord va céder sur tout. Sur le prix ridicule de la vente, un million d'euros, comme sur la promesse iconoclaste de réaliser au-dessus des Anciens thermes plusieurs centaines d'appartements selon le propre projet du promoteur. Dord, via son successeur, organisera une mascarade pour camoufler ce camouflet en fausse consultation populaire. Dord va aussi céder sur la réalisation d'un grand parking sous et sur le domaine public, face à l'hôtel de ville. Dord cèdera encore sur la prise en charge par la Ville du financement de tous les travaux de dépollution. Dord cédera enfin, mais sans doute pas à la fin, en permettant à Bouygues de réaliser l'opération "relogement" de l'annexe du CHS de Chambéry qu'il avait installée, à grands frais, dans les Anciens thermes. Une vraie reddition en rase campagne, c'est un peu con.

Au final l'opération lancée en 2005 va faire perdre à la ville le plus beau bâtiment historique qu'elle avait jamais possédé, cela
au bénéfice d'un promoteur immobilier. Elle va perdre aussi une bonne vingtaine de millions d'euros investis pour rien dans les lieux. Ce n'est pas une simple défaite, c'est une capitulation. Aussi, quand dans la vidéo mise en ligne par la mairie on voit, en gros plans, les expressions de Dominique Dord ce 5 novembre après que des élus de l'opposition viennent de dénoncer ce fiasco, on lit sur son visage grimaçant plus que de l'énervement mais aussi une forme d'inquiétude. Tardive. Et très peu... esthétique!
Eh, oui, on y revient. Et ce n'est pas qu'une hypothèse... d'école!

Au moment de conclure, je me demande de qui parlait Patrick Mignola quand il le qualifiait de con et prétentieux...

Ça y est, la mémoire me revient...

Opticon


* Selon nos informations, un accord "secret" aurait été conclu pour qu'après le 30 juin 2020 l'école d'esthétique récupère les locaux qu'elle occupe actuellement, plus l'usage de la piscine. On attend le démenti.