L' ÎLE AU PARADIS PERDU

ET C'EST DE MAUVAIS AUGURE


C'était à l'été 2009. Comme nous avions un peu de temps à consacrer aux autres, nous étions devenus famille d'accueil d'urgence. Ce jour-là la D.A.S. nous avait proposé d'accueillir temporairement un jeune homme de 17 ans. Je vais ici l'appeler Bayoua pour préserver son intimité. Bayoua venait tout droit de Mamoutzou, capitale de l'île de Mayotte devenue française depuis peu grâce à (à cause de) Sarkozy et son référendum.

Bayoua baragouinait quelques mots d'un français qui n'était pas sa langue d'origine. Dans l'objectif, disait-elle, d'aider à son intégration, la D.A.S. l'avait envoyé suivre des cours dans un centre soi-disant d'éducation logé dans une ancienne usine, au bord de la route nationale entre Voglans et Le Bourget. Je m'y étais rendu pour rencontrer une première fois le jeune homme. J'avais trouvé là-bas une quinzaine de jeunes gens, aussi désoeuvrés que lui, très mal, voire pas du tout encadrés par d'autres jeunes gens qui n'avaient à l'évidence de formateurs ou d'éducateurs que le nom et le salaire.

Bayoua nous est apparu à la fois totalement dépaysé et mal à l'aise mais aussi d'une grande sensibilité et d'une gentillesse non feinte.
Il a été accueilli chez nous. Il a montré une aptitude à s'intégrer à notre mode de vie assez spectaculaire. Trois mois plus tard il s'exprimerait dans un français que des émigrés de longue date auraient pu lui envier. Pour déjeuner il avait abandonné la cuiller pour tenir la fourchette de la main gauche et le couteau de la main droite. Il avait même accepté de quitter le présumé centre de formation pour aller, moyennant salaire, à la cueillette des pommes et des poires dans quelques vergers de la région. Malgré le froid...
Chaque jour qui passait, il nous parlait de sa vie à Mayotte, une vie qu'il regrettait. Il nous parlait de sa mère, une adoration, qui l'avait aidé à grandir en lui disant, dès qu'il avait eu 16 ans, que c'était à lui désormais de se prendre en charge. Il nous parlait du Cadi qui, là-bas, faisait respecter l'ordre et la discipline sans avoir besoin de sévir. Il nous parlait de la religion musulmane qui, là-bas, ne contraignait personne. Il nous disait aussi qu'il n'avait que très peu fréquenté l'école, que sa mère n'avait que peu de ressources, que là-bas il n'y avait pas de travail pour lui et que c'était pour cela qu'elle l'avait encouragé à venir en France.

Mais il nous parlait de "son pays" avec passion. Il racontait comment, là-bas, il suffisait de planter une branche pour récolter des bananes quelques mois après. Comment l'océan offrait de belles plages avec une eau à 24 ou 26 degrés toute l'année. Comment on pouvait vivre quasiment dehors sans avoir rien à craindre de personne, et pas du froid non plus. Plus tard, quand il ferait quelques allers-retours entre son pays et la Savoie, il nous reviendrait avec dans ses bagages une grosse poignée de bâtons de vanille, plus parfumés que ceux qu'en métropole on nous vendait à deux euros l'unité et qui poussaient là-bas, disait-il, comme le maïs dans nos champs d'ici. Ou avec des ananas dont la saveur était sans commune mesure avec ce que l'on nous vendait ici.  Bref, il nous dépeignait Mayotte comme une sorte de paradis sur terre, pour peu qu'on en prenne soin. Nous avions même envisagé, un temps, d'aller y passer notre retraite.
Bien après qu'il fût adulte et que nous n'en ayons plus la responsabilité,
Bayoua a conservé des liens avec nous. Une fois en ménage il est venu nous présenter ses enfants. Il nous appelait ses parents. Lui-même se disait "bounty", noir à l'extérieur, blanc à l'intérieur.

Toutefois, les années passant, son tropisme vers son île s'atténuait. Non seulement il s'adaptait à la vie savoyarde (il y a même créé son entreprise) mais il constatait à quel point l'île qu'il avait connue enfant était en train de muter. Victime du référendum, Mayotte voyait débarquer chaque jour des dizaines ou des centaines de migrants comoriens venus y chercher ces aides et ces services que la république française leur accordait généreusement... Ceci au mépris et au détriment des autochtones.
Bayoua avait compris avant tout le monde que Mayotte courrait vers le désastre. C'est en France métropolitaine qu'il fit venir nombre de membres de sa famille.
Ce que 
Bayoua avait compris, nos fausses zélites françaises faisaient mine de l'ignorer.
Devenus Français non pas à part entière mais entièrement à part, les Mahorais étaient contraints d'écouter les vagues promesses jamais suivies d'effets des présidents et gouvernements successifs. Le pire fut sans doute avec le macron qui, non content d'abandonner les habitants de l'île à leur triste destin, s'amusait à plaisanter publiquement à propos des kwassa-kwassas, ces bateaux plats qui déversaient impunément leurs cargaisons (!) de migrants sur les côtes mahoraises.

En ce 19 décembre 2024, j'entends le même macron, se drapant dans le drapeau de Mayotte, se féliciter d'avoir apporté avec lui, dans son avion personnel, quatre tonnes de denrées. Et j'entends les thuriféraires stipendiés de la presse aux ordres qui soulignent cet exploit. Alors là je crains que l'on n'ait pas encore touché le fond de la sottise, de l'ignorance ou de l'ignominie. Quatre tonnes! Oui. Soit très exactement dix grammes par habitant de l'archipel!! Dans le genre foutage de gueule on a rarement fait mieux.

Si j'en crois les Mahorais d'origine, Mayotte aurait pu devenir une île de rêve si on y avait mis le prix et de la volonté. Sous les Sarkozy, Hollande et macron elle est devenue un cauchemar éveillé et à ciel ouvert. Le cyclone n'a fait que précipiter les choses et les révéler au grand jour. J'ai d'ailleurs un mauvais pressentiment.
Et si le triste sort de Mayotte était celui qui attend une France métropolitaine gérée par les fossoyeurs de son passé prestigieux..?


Jacques Girard