Trompés (mais pas
que..) par une information aseptisée ou mensongère, les contribuables et citoyens locaux n’ont sans doute pas encore bien
mesuré la profondeur du gouffre financier qui se cache derrière l’opération « Thermes
d’Aix-les-Bains ». Cela se chiffre en dizaines de millions d’euros au
détriment de la collectivité publique et au profit de quelques grands groupes
financiers ou immobiliers. C’est tellement gros qu’on se demande comment cela a
pu se faire sans que personne ne réagisse vraiment...
Pour bien comprendre les tenants et les aboutissants de ce qui devrait être le scandale
politico-financier du siècle, il suffit de remonter au début des années 2000
et de faire travailler sa mémoire.
Quand, en mars 2001, Dominique Dord et son clan s’installent à l’hôtel de ville
d’Aix-les-Bains la situation patrimoniale de la collectivité publique est fort
enviable. Le patrimoine négociable public dans la ville se chiffre à plusieurs dizaines, sinon une centaine, de millions
d’euros dont il ne reste quasiment plus rien en 2016. On parle bien du domaine privé de la collectivité publique, celui susceptible d'être vendu, pas du domaine public (routes, écoles, etc) par définition incessible.
Mais ne retenons aujourd'hui que le cas emblématique des Thermes nationaux.
En 2001, les Thermes nationaux c’est d’abord une activité commerciale qui
génère une quinzaine de millions d’euros de chiffre d’affaire annuel. Mais
c’est aussi, et surtout, un patrimoine immobilier impressionnant.
Parmi le patrimoine des thermes nationaux, il y a les Thermes Chevalley, dont Dominique Dord, avant d’être maire, clamait
qu’ils étaient les plus modernes d’Europe. Propriété de l’État, les
Thermes Chevalley doivent beaucoup aux contribuables locaux qui ont non
seulement financé le terrain d’assise mais largement subventionné, directement
ou indirectement, les infrastructures. Le coût de revient des Thermes Chevalley
peut être alors évalué à 40 millions d’euros, valeur 2001.
Pour faire fonctionner les Thermes Chevalley il y a aussi des installations annexes,
comme une blanchisserie en parfait état de fonctionnement, un vaste terrain constructible à deux pas du centre, des parkings
souterrains ou aériens, ainsi que l’accès gratuit à des sources chaudes d’une
valeur inestimable (de quoi chauffer, ad vitam aeternam, des centaines de
logements) et autres sources froides, terrains ou kiosques. Des biens annexes qui peuvent être aisément chiffrés à une
vingtaine de millions d’euros, ce qui porterait la valeur des Thermes Chevalley à
60 millions d’euros.
A côté des Thermes Chevalley, il y a le gros morceau, le beau morceau, les
Anciens Thermes, Pécriaux et Pellegrini, ces bâtiments historiques (les plus anciens remontent aux années 1780) que Dominique Dord vient d'être autorisé, par sa majorité, à céder à Bouygues SA pour une bouchée de pain.
Bien que de construction inégale et
étalée dans le temps, ces bâtiments n’en conservent pas moins une valeur
patrimoniale importante. Leurs 40.000 mètres carrés recèlent de nombreux trésors architecturaux et sont la dernière trace à la fois
d’une grande partie de la vie locale et de l’histoire des cures thermales.
Dans un rapport réalisé en 2005, à la demande de Dord, la société Ineum-Consulting
avait chiffré la valeur pécuniaire de ces bâtiments à 5 millions d’euros, en
tenant compte des importants travaux de leur remise en état. Mais c’était une valeur
calculée sur le seul bâti existant et qui ne prenait pas en compte leur valeur historique et pas davantage le potentiel
foncier de ces bâtiments au cas où leur réaménagement et leur agrandissement seraient affectés à un usage autre que
thermal ou public. Auquel cas leur valeur résiduelle pouvait être aisément
multipliée par trois ou quatre, soit une vingtaine de millions d’euros.
Résumons-nous : Au vu de ce qui précède, on ne prend pas de gros risques
en affirmant qu’à l’arrivée de Dord à Aix le patrimoine foncier et commercial des thermes
nationaux avoisinait les 80 millions d’euros, valeur 2001.
Quinze ans plus tard, en ce mois de juillet 2016, que reste-t-il de ce
patrimoine ? Rien. Et même moins que rien.
Les Thermes Chevalley, leur société commerciale et tout leur patrimoine foncier, ont été cédés à une société privée parisienne pour 3 millions
d’euros. Une misère. Pour ce prix-là, la société Valvital est également devenue
propriétaire des kiosques ou des parkings aériens dont elle n’avait pas
l’usage. Alors le maire d’Aix a décidé de les lui racheter (les kiosques) ou de
les lui louer (les parkings). Soit une dépense de plus d’un million d’euros pour la collectivité afin de reprendre des biens... qui lui appartenaient !
Quant aux Anciens Thermes, c’est l’arnaque totale.
C’est pourtant le député-maire de la
ville qui, en 2006, avait insisté pour les racheter à l'Etat plutôt que de laisser l'Etat les réhabiliter et les négocier lui-même. Dord affirmait alors qu'il agissait ainsi
pour protéger (sic) ce patrimoine et le rendre aux Aixois. Il ajoutait qu’il le
destinait à un usage public. Si, si, il l'avait déclaré!
Compte tenu de ce futur usage public annoncé par le député-maire, l’Etat lui a donc revendu ces bâtiments pour 1,2
million d’euros, un prix d'ami sans doute parce ce qu’il s’agissait de bâtiments largement financés au fil
des années par les contribuables locaux. Toutefois l’Etat s’est bien gardé de dépolluer
le site avant de s’en séparer. C’est donc à la Ville que cette charge est revenue.
Soit un coût de plus d’un million d’euros aux frais des contribuables locaux
exclusivement. Plus un autre million pour indemniser ou reloger les locataires qu'elle avait installés dans les lieux. Sans oublier Peyrefitte dont on reparlera.
Ainsi, en revendant ce site à Bouygues SA au prix où elle l’avait payé à l’Etat, la Ville
va donc enregistrer une perte sèche de deux millions d’euros. Et, pour ce prix-là, elle n’aura plus
rien, même plus son mot à dire sur le devenir des Anciens Thermes. Exit leur destination à l'usage du public promise par Dord au moment du rachat par la mairie!
Le bilan « thermal » de Dominique Dord est donc sans appel.
D’un
patrimoine public évalué en mars 2001 à quelque 80 millions d’euros, il ne
restera plus rien, strictement plus rien, après juillet 2016. Pire, pour récupérer
une infime, une misérable partie de ce patrimoine (parkings et kiosques) ou
pour avoir le droit de le revendre (Anciens Thermes), la Ville aura, en sus,
dépensé, en pure perte plus de trois millions d’euros.
Il est lourd, le bilan de Dord à propos des Thermes nationaux (on parlera du
reste plus tard).
Mais rassurons nous. L’argent n’a pas été perdu pour tout le monde. En
rachetant les Thermes Chevalley pour une misère, Valvital a déjà amassé
plusieurs millions d’euros de bénéfice. Quant à Bouygues SA et ses
actionnaires, faisons-leur confiance. Ils vont certainement multiplier par dix
ou vingt leur investissement initial dans les Anciens Thermes.
Pendant que la
collectivité publique s’appauvrit et paie, les sociétés privées prospèrent et
encaissent.
Sur le fronton des Anciens Thermes, on pouvait lire "Aquae Gratianae", une inscription qui a souvent été traduite par "Les eaux de Gratien" mais qui peut aussi signifier "Les eaux bienfaisantes".
Ah, les eaux bienfaisantes d'Aix-les-Bains, comme certains peuvent aujourd'hui s'en féliciter..!
Et si les Aixois ne trouvent pas que cette histoire constitue le plus gros
scandale politico-financier du siècle, c’est à se demander par qui ils ont bien
pu se laisser envoûter.